(Ma chronique de cette semaine pour libé. Nous ouvrirons Wikio le 19 Juin)
Une boutade circule dans les milieux Internet un peu branchés. « A quoi reconnait-on un site Web 2.0 ? » Réponse : « Il est éternellement en version beta. » Cette
boutade n'est pas dénuée de réalité : Gmail, sans doute la plus belle application Ajax à ce jour, est encore en beta deux ans après son introduction, et disponible uniquement sur invitation. Le
nouveau Yahoo Mail est lui aussi en beta, l'aggrégateur de messageries instantannées Meebo est en beta, le service de recherche de photos
Riya est en beta, Netvibes (page personnelle) est en beta, Live.com (le nouveau moteur de Microsoft) est en beta... il y a bien sûr quelques exceptions pour confirmer la règle Web 2.0 = beta, comme les deux services
achetés l'an dernier par Yahoo! Delicio.us (partage de marques-pages) et Flickr (partage
de photos) qui ne sont plus en beta, ou encore le moteur de recherche de blogs technorati, mais par contre le moteur de recherche de blogs
de Google est bien en beta !
Afficher « beta » sur un service Web signifie littéralement que le service est en test, mais plus concrètement, cela veut dire que le service demande l'indulgence des utilisateurs vis-à-vis des
bugs, et même davantage que leur indulgence : leur collaboration pour les repérer et les éliminer. Les utilisateurs précoces des nouveaux sites Internet forment de véritables communautés, dont le
rôle est non seulement d'aider les développeurs à fiabiliser les services, mais aussi d'influencer le développement des nouvelles fonctionnalités. Le processus de création de beaucoup des
services Web 2.0 est donc lui-même interactif : les futurs utilisateurs sont aussi des créateurs. Ainsi l'interface de Netvibes a été traduite en 55 langues en 15 jours grâce au wiki ouvert par les fondateurs.
Wikio, le moteur de recherche d'infos que je développe avec mon équipe, est en beta privée : le service n'est accessible qu'aux internautes ayant demandé le mot de passe. Ils sont plus de 20 000 à avoir fait la démarche, et leur contribution à l'amélioration du site est absolument considérable. Il s'agit tout à la fois
d'une étude de marché et d'un test utilisateurs à échelle réelle, ce que les anciennes méthodes de marketing ne permettaient pas du tout. En étant à l'écoute des premiers utilisateurs du service
nous les associons à sa conception, à son développement et à son perfectionnement. Il s'agit en réalité d'un nouveau processus de création de produit.
Bien sûr, certains s'impatientent, réclament la fin de la période d'essai et l'ouverture du site. Je suis d'ailleurs le premier à être impatient, et à souhaiter pouvoir leur donner satisfaction
le plus vite possible. Croyez-moi, il n'y a aucun snobisme à rester en beta, et à fortiori en beta privée, il s'agit plutôt de perfectionnisme : un service Web ouvert au public, même en beta,
doit afficher un niveau élevé de qualité. S'il est trop imparfait il ne peut que décevoir ses utilisateurs. Et un haut niveau de qualité cela s'obtient avec beaucoup de travail et d'attention aux
détails, particulièrement quand il s'agit de services innovants.
Dans la première vague du Web on n'hésitait pas à ouvrir des services incroyablement immatures et buggués. Pour ne pas jeter la pierre à qui que ce soit je citerai ma propre expérience : la toute
première version de Kelkoo, ouverte en janvier 2000 et propulsée par une campagne télé, n'était qu'un brouillon très très approximatif. A l'époque, il y avait peu d'internautes et encore moins de
services Internet réellement utilisés. Lancer un service à moitié terminé cela ne choquait pas parce que c'était la norme. Mais aujourd'hui, six ans après, les internautes sont devenus des
utilisateurs expérimentés et exigeants : ils n'accepteraient plus de se confronter au Web des débuts. Ils comparent naturellement la qualité de fonctionnement des nouveaux sites aux services
éprouvés qu'ils ont l'habitude d'utiliser, et ils ont bien raison.
La vague des services en beta n'est donc pas une mode, c'est une adaptation à la fois aux réalités et aux potentialités du marché d'aujourd'hui. S'agissant de services Web 2.0 à fortes
composantes d'innovation, il s'agit aussi de tester l'appétit des internautes pour les nouveautés proposées et le cas échéant de rectifier le tir avant de figer les choses. Car une fois
qu'un service Internet est bien établi vous remarquerez qu'il évolue peu. Il conquiert puis fidélise des utilisateurs, jusqu'à ce qu'un service concurrent plus innovant s'efforce de les en
détacher. Il est alors temps de faire un lifting, mais ceci est une autre histoire...
Beta : c'est bien le signe de reconnaissance des sites Web 2.0. Ce Web interactif fondé sur l'interaction des utilisateurs n'est-il pas lui-même un concept en beta, donc évolutif
et perfectible ?