Je remercie mon ami Bertrand Dussauge de m'avoir offert
Petite Poucette, que Michel Serres a écrit au début de l'an dernier.
Le petit livre que le philosophe octogénaire consacre à la génération des petites cliqueuses (Petite Poucette clique avec les pouces sur son smartphone) est rafraichissant, sa réflexion sur le
changement de civilisation impulsé par Internet est d'autant plus pertinente que le philosophe reste au contact des jeunes dans son activité d'enseignement aux Etats-Unis.
Michel Serres regarde les jeunes hyper-connectés et bavards avec bienveillance, "ces enfants (qui) peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent, ni n'intègrent, ni ne
synthétisent comme nous, leurs ascendants".
Pour lui tout est à revoir:
- l'enseignement bien sûr. Dans un monde ou le savoir est à portée de tous en quelques clics, l'enseignant qui "oralise un savoir écrit", un savoir qui était autrefois rare et difficlement
accessible, ne peut plus s'attendre à ce que les élèves l'écoutent religieusement en silence. La pédagogie est à repenser totalement avec les nouvelles technologies.
- la politique, car Internet signifie l'explosion de la parole et le "vote permanent". Michel Serres utilise cette belle formule: "nos institutions luisent d'un éclat semblable à celui des
constellations dont les astronomes nous apprennent qu'elles sont mortes depuis longtemps déja."
- le travail, car selon lui Petite Poucette s'ennuie au travail, une activité qui de toute manière se raréfie. Je ne suis pas d'accord avec lui sur ce point. Le travail change rapidement avec la
disparition des hiérarchies et leur remplacement par la collaboration en réseau. Il ne disparait pas, il se déplace, notamment vers les pays émergents, mais globalement il n'y a jamais eu autant
d'hommes au travail.
Dénonçant les atrocités des idéologies anciennes, Michel Serres préfère le "connectif" au "collectif". Le connectif, plus doux, c'est le monde des réseaux, qui permet à chacun de s'exprimer et de
se rapprocher des gens qui partagent ses centres d'intérêt.
La réflexion sur le format de communication écrite, qui reste la page, reproduction du lopin de terre de nos ancêtres, est captivante, même s'il oublie un peu l'hypertexte et la video.
Vers un printemps occidental?
Petite Poucette est vraiment un livre à découvrir, pour préparer le "printemps occidental", pour lequel "toutes les conditions (sont) réunies, sauf que les pouvoirs qui s'y opposent n'utilisent
plus ici la force mais la drogue", en particulier la drogue diffusée par les programmes abêtissants des grands medias.